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Histoire et Généalogie planèze aubrac margeride

Intempéries hivernales dans le Cantal en janvier 1887 - Journal "l'Auvergnat de Paris" -

30 Novembre 2021, 10:41am

Publié par Françoise PICOT

Le journal l"auvergnat de Paris nous relate la situation de nos villages cantaliens lors des intempéries hivernales de janvier 1887 :

le 16 janvier 1887

Dernières nouvelles : On nous télégraphie d’Aurillac : Le sieur Peyrol, voiturier, a trouvé près de Saignes le cadavre d’un nommé Antraygue, du canton de Maurs, marchand de lard salé d’Amérique. Le malheureux a dû se perdre dans la neige et tomber dans un comble. Bien qu’il y eû, en cet endroit, quatre mètres de neige, les loups avaient creusé et avaient dévoré les deux cuisses ainsi que le ventre d’Antraygue.

A cause du mauvais temps, la nouvelle foire d’Aurillac avait attiré peu d’acheteurs ; néanmoins les bestiaux se sont assez bien vendus.

Nous empruntons à « l’avenir » la description suivante « De la ligne de Murat à Aurillac : Le Cantal est couvert, depuis quinze jours, d’une couche de neige qui varie entre vingt et trente centimètres d’épaisseur dans la plaine et dépasse un mètre sur les montagnes les plus élevées.

A Aurillac, malgré le dégel, Ia couche atteignait, à la fin de la semaine dernière, 25 cm sur le haut de la vallée de la Jordanne. A Velzic, Lascelles, Saint-Cirgues, elle mesure de 50 à 60 centimètres, entre Saint-Martin-Valmeroux et Mauriac 40 à 50 centimètres.

Si noue remontons le cours de la Cère, nous ne trouvons guère de différence avec Aurillac jusqu’à Vic ; mais de cette ville au Lioran la progression augmente rapidement ; à Thiézac nous avons 40 cm, puis 60 à Saint-Jacques et de 80 cm à 1 mètre au Lioran.

Entre Thiézac et Saint-Jacques la route nationale est à peu près impraticable pour les voitures et extrêmement pénible pour les rares piétons qui osent s’y aventurer.
Dimanche matin, de la voiture du chemin de fer où nous étions, nous avons pu suivre des yeux, pendant quelques minutes, un voyageur sur la route en amont de Saint-Jacques. Cet homme paraissant avoir de la neige plus haut que les genoux faisait de visibles efforts pour mettre les jambes en mouvement. Quoique grand et d’apparence vigoureuse il allait tout au plus au train d’un kilomètre à l’heure !

Certaines maisons adossées à la montagne se confondaient pour ainsi dire avec la montagne elle-même. La neige en glissant vers le chaume avait comblé l'angle formé par le toit et la colline. On apercevait à peine un mètre du mur de la façade de couleur grisâtre revêtant à une distance de quelques centaines de mètres la forme d’un bloc de rocher. Aussi combien grande a été notre surprise de voir une femme s’approcher d’un de ces rochers et disparaître comme par enchantement. .

La forêt du Lioran est d’un aspect féerique. Les branches des sapins chargées de neige se courbent lourdement vers la terre, montrant leurs dessous vert, foncé qui se détachent en dentelures sur le fond blanc de la tige. Au-dessus la montagne se perdant dans le brouillard, au dessous les ravins de l’Alagnon au bord desquels sources et cascades figées en énormes stalactites affectent la forme d’orgues aux tuyaux de cristal !

Les ruisseaux qui serpentent sur le flanc de la montagne sont ensevelis sous des tunnels de neige, trahissant seulement le secret de leur existence par quelques ouvertures rondes et ovales que la nature a ménagées ça et là entre les combles.
Quel majestueux paysage, digne de la lyre des poètes ! Cette nature si luxuriante en été est encore plus pittoresque et plus intéressante à voir par ce temps de neige.

Du Lioran à Murat, progression descendante naturellement. Un pied de neige environ dans cette ville.

Nous laissons à penser, après les chiffres que nous venons de donner sur la hauteur des neiges, les difficultés que la Cie d’Orléans doit surmonter pour assurer le service des trains. Chasse-neige et déblayeurs sillonnent constamment la voie. Nous sommes peut-être au-dessous de la vérité en mettant à 300 le nombre des ouvriers employés par la Compagnie entre Aurillac et Murat seulement, car les travaux de déblaiement s’étendent au-delà de ces deux stations. Grâce à ce déploiement d activité les trains ont conservé leurs heures d arrivée et de départ habituelles.

Il n’en est pas de même pour les correspondances et courriers effectués sur les voies non ferrées. Des retards très compréhensibles et fort excusables sont signalés tous les jours. On diminue de moitié le poids des véhicules, on double le nombre des chevaux et encore on met deux et trois fois plus de temps qu’à la bonne saison.

Depuis 1870 nous n'avions pas vu pareille neige.

Nous avons dit dans notre dernier numéro qu’une femme avait été trouvée morte sous la neige, sur le chemin de Cussac à Paulhac. Voici les renseignements complémentaires qui nous sont parvenus à ce sujet :

« C’est le lundi, 3 janvier, que le corps de cette malheureuse a été trouvé non loin du lieu dit « la Jarrige » ; elle se nomme Françoise Charreyre, dite Fedou, célibataire, âgée d’environ 45 ans ; cette pauvre femme ne jouissait plus depuis quelque années de ses facultés intellectuelles. C'est un chien qui a découvert son cadavre en écartant la neige avec ses pattes ; la mort remontait à sept ou huit jours environ ; la malheureuse victime tenait ses sabots sous les bras et une pomme dans une de ses mains crispées. Selon toute probabilité, elle a du être enveloppée par une rafale de neige, et, vaincue par l’intensité du froid, elle a dû succomber »

On nous écrit de Mauriac que "le froid est excessif et que la neige gelée encombre les chemins et les rues. Ce mauvais temps a fait inventer un nouveau genre de sépulture".
Mercredi dernier, on enterrait la fermière du domaine de St-Jean. Le soir du même jour, pour ne pas creuser une deuxième fosse, on a placé le cercueil d’un enfant sur celui de la ferme enterrée le matin. Le père de l’enfant ayant fait ses réclamations près de l'autorité, il est probable qu’une nouvelle tombe sera creusée.

Les communications sont interrompues sur la route de Mauriac à Murat et entre Salers et Mauriac par Anglards. Le service des dépêches entre Tulle et Mauriac s’effectue à cheval ; ceux entre Mauriac et Largnac et Mauriac et Ussel se font avec les plus grandes difficultés.

Depuis mardi, les courriers d’Entraygues, Lascelles et Marcolès font leur service à cheval.
Le courrier d’Entraygues, qui était attendu mardi soir, n’est arrivé que le mercredi matin.
Les couriers de St-Mamet, Pléaux, Mur de Barrez, Marmanhac, arrivent constamment en retard à Aurillac.
La foire du 7 janvier à Vic sur Cère a été peu importante à cause du mauvais temps ; on n'avait jamais vu tant vu de neige dans nos pays. Néanmoins, il s’est vendu bon nombre de porcs gros avec une légère baisse sur les cours de ces derniers jours.

23 janvier 1887

On nous écrit de Pierrefort : « La campagne est couverte d’une couche de 70 à 80 centimètre» de neige même dans les régions les moins exposées du canton de Pierrefort. Que dois-je être sur les montagnes? Les loups pressés par la faim sont sortis de leurs retraites. On en a vu errer un dans les campagnes qui avoisinent Neuvéglise, et le même ou un de ses frères a égorgé un mouton au village de Bonnestrade, commune d’Oradour. Il ne doit pas être bien coupable, car il devait sans doute se trouver dans l’extrême nécessité. »

Nous lisons dans l’Avenir du Cantal :
« Le facteur du Falgoux qui, malgré les difficultés, avait voulu continuer son service, a failli être victime de son dévouement, et il aurait très certainement péri si une vingtaine d’hommes de bonne volonté n’étaient allés à sa recherche ; ils l’on trouvé à bout de forces et enfoncé dans la neige littéralement.
« On raconte que dans la forêt du Falgoux, des sapins de 20 mètres de hauteur ont disparu sous la neige ».
« Au col de Néronne, une maison aussi a disparu. Les habitants ont dû grimper sur le toit pour dégager l’ouverture de la cheminée qui était obstruée par la neige".

30 janvier 1887

Le temps s’est remis au beau. Au dégel pluvieux de la semaine dernière a succédé un temps clair avec nuits froides et journées pleines de soleil. Le dégel continue lentement, pendant le jour, sur les toits et dans les rues, mais en rase campagne la couche épaisse et durcie par la gelée parait ne devoir céder qu’aux efforts combinés de la pluie et du vent du midi.
La viabilité est un peu moins gênée grâce aux chasse-neige que l’on a fait passer un peu partout et à la fonte intermittente qui se produit également sur les chemins. Aussi les retards des courriers diminuent-ils de jour en jour.
Les loups, que d’impérieuses nécessités ont chassé de leurs repaires, se rapprochent des habitations pour happer quelques victuailles. On sait combien ils sont audacieux et peu difficiles en pareil cas : à défaut du succulent agnelet, ils se régalent du premier chien maigre venu et même de moins encore. Ils viennent jusque dans les rues d’Aurillac, où leurs traces ont été officiellement constatées, et on les accuse, à bon droit, paraît-il, d’avoir, dans la nuit de samedi à dimanche, enlevé et dépecé le chien du sieur Bessonnie, boulanger de notre ville. Les restes du festin gisent en haut du pré Bouygues, derrière l’usine à gaz. Gare à ces nocturnes visiteurs! Les précautions à prendre sont d’ailleurs des plus élémentaires.

Saint-Chamant - Foire - ça dégèle et il n’est que temps. Mais quel gâchis ! Et que sera ce dans deux ou trois jours ? Malgré cela nos montagnards ont graissé leurs bottes et après les avoir chaussées et introduit les pantalons dedans, la soupe dans le ventre, les voilà partis ! - Est-ce que 50 centimètres de neige arrêtent les hommes de la gentiane ? Jamais ! Une ou deux chopines s'il le faut, mais il feront leurs affaires, et le soir ils se chaufferont en racontant les aventures de la journée.
Cette foire tend à prendre de l’importance. Cette année, malgré le mauvais temps, les places et foirails étaient bien approvisionnés et les transactions très nombreuses ont donné une satisfaction à ceux qui s’exposent à une température si rude.

 

Tous les nombreux correspondants du journal ont fait part, à travers leurs témoignages, de la vie quotidienne dans nos villages durant ces fortes intempéries hivernales de janvier 1887.

 


 

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